Une proposition de loi pour reconnaître et réparer les abus subis par les "enfants de la Creuse", ces Réunionnais déplacés de force dans l'Hexagone entre 1962 et 1984, a été déposée mercredi à l'Assemblée nationale.
Présenté par la députée (GDR) Karine Lebon, le texte prévoit trois formes de réparation : symbolique avec un jour de commémoration dédié, mémorielle avec la création d'une commission chargée de retracer les détails de ce pan d'histoire, et financière, via une indemnité dont le montant sera fixé par décret. "Le principe de la réparation sera acté mais le montant ne peut pas être inscrit dans la loi", a précisé Karine Lebon au cours d'un rassemblement devant l'Assemblée nationale en compagnie de plusieurs dizaines de victimes ou descendants de victimes de ce système orchestré par l'État français.
"Pour une enfance brisée, c'est de toute façon un montant qui sera décevant", a-t-elle ajouté, assurant que le gouvernement s'était engagé à soutenir cette loi. "Des lois votées à l'Assemblée qui attendent ad vitam æternam au Sénat, il en existe. On a dit à Manuel Valls, +ne nous faites pas ce coup-là+", a-t-elle lancé, appelant l'ex-Premier ministre, désormais ministre des Outre-mer, à appuyer le calendrier. Karine Lebon a dit espérer que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale accepterait d'inscrire à l'ordre du jour cette proposition de loi, pour un passage en séance début juin.
Manuel Valls, venu au rassemblement organisé devant l'Assemblée, a assuré être prêt "pour qu'on aille le plus loin possible dans cette reconnaissance" et "trouver la meilleure des solutions", sans pour autant s'engager formellement. Connus sous le nom d'"enfants de la Creuse", parce qu'ils avaient majoritairement été accueillis dans ce département rural, 2.015 jeunes Réunionnais avaient été retirés à leurs parents et transférés de force vers l'Hexagone entre 1962 et 1984, en vertu d'une opération organisée par le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (Bumidom).
Placés en foyers, familles d'accueil ou familles adoptives, au motif de résoudre les problèmes de démographie galopante et de grande pauvreté que connaissait alors La Réunion, ces enfants n'ont parfois jamais remis les pieds sur l'île, ont perdu tout contact avec leurs familles et ne connaissent pas leur histoire. "La bataille juridique seule est insuffisante. Elle ne peut remplacer les batailles politiques et citoyennes", a souligné au cours d'une conférence de presse Me Élisabeth Rabesandratana, avocate de la Fédération des enfants déracinés d'Outre-mer (FEDD), regroupant plusieurs associations de victimes qu'elle a félicitées pour leur "ténacité".
"Cette migration forcée a laissé des blessures profondes, des identités fracturées, des destins broyés. Notre enfance brisée a laissé des cicatrices profondes sur nos corps, nos esprits, mais aussi sur ceux de nos conjoints et de nos enfants", a témoigné Marie-Germaine Périgogne, exilée à trois ans dans la Creuse. "Rendez-nous aujourd'hui notre dignité !"
Jean-Paul Tabanou, emmené à six ans en Corrèze, a raconté devant les caméras avoir grandi dans l’incompréhension et le silence. "On m’a arraché à ma mère, on m’a dit qu’elle m’avait abandonné. Je l’ai cherchée pendant 40 ans." "Je ne sais même pas si je suis né un jour", a murmuré Lucette Barret, les larmes aux yeux. "Pas de photo, pas de souvenirs, pas de mots. On a effacé ma naissance comme si elle n’avait jamais compté."
"On nous a vendus comme des marchandises à des familles en manque d’enfants ou de main-d’œuvre. J’ai été placée à 9 ans chez des paysans dans le Lot. J’étais bonne à tout faire. J’ai grandi dans la peur", a ajouté Jocelyne Adame, la voix tremblante. "Ce texte, même imparfait, est un pas vers notre vérité. On attend depuis des décennies", a conclu Gilbert Payet, exilé à dix ans.
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